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De la résistance, comment la trouer.

  • Photo du rédacteur: fvaudelapia
    fvaudelapia
  • 26 juil.
  • 4 min de lecture

 

Dans le cadre de la cure, nous nous exposons au risque que l’analysant bute sur sa résistance et en retire un abattement émotionnel, qui l’empêche précisément de mettre cette résistance au travail, alors même que c’est précisément la cause de sa souffrance dont il se rapproche. Comment alors diriger la cure pour l’amener à considérer ces difficultés comme nécessaires à sa libération de la répétition de ses souffrances ? Pour le comprendre, l’éclairage que donne Freud sur la diversité des résistances, et notamment ce qu’il pointe comme étant la résistance inconsciente du ça, produisant la compulsion de répétition, devrait nous aider.

Freud distingue en effet cinq sources de résistances, provenant des trois instances psychiques théorisées dans la topique de 1923[1]. C’est la quatrième qui ici, retient notre attention, Freud en parle ainsi : « La quatrième espèce de résistance – celle du ça – est celle que nous venons de rendre responsable de la perlaboration. »[2]. En quoi cette espèce particulière s’avère d’un essentiel appui ?

C’est qu’en psychanalyse, la répétition n’est pas la réitération du même, et cela parce que, comme nous le disions plus haut, le sujet n’est pas une substance se logeant dans les profondeurs imaginaires d’une psyché spatialement conçue. Produit de la parole, le sens de ses énoncés dépend en effet de la vectorisation de son énonciation rétroactivement induite par les maillons successifs de la chaîne signifiante. Pour illustrer ce mouvement, prenons l’exemple d’une phrase commençant par ces mots : « la peur du lion ». Tant qu’elle ne sera pas achevée, et cet achèvement sera toujours temporaire pour le sujet qui s’y représente, nous ne pourrons savoir s’il s’agit d’un génitif objectif, ou bien d’un génitif subjectif. Qu’on y ajoute : « a terrifié les enfants », ou bien « face à l’éléphant », et la peur change de camp.

De même pour le sujet qui s’autorise à parler, ce qui se dit de lui dans cette suite de signifiants est, au moins en droit, systématiquement modifié par l’avancée du discours. Plus exactement, c’est la vectorisation qu’est l’énonciation qui se trouve modifiée, et non une signification qui serait là aussi substantifiée comme étant la véritable représentante d’un sujet objectivé. Ainsi, chaque fois qu’un analysant, s’excusant bien souvent de le faire d’ailleurs, rappelle un épisode de sa vie qu’il a, ou qu’il pense avoir déjà raconté, un travail subjectif est à l’œuvre. En effet, répéter un mot ne peut se réduire à la réitération du même sens, puisque la signification de la seconde occurrence se rapporte nécessairement à la première. Ainsi, Lacan peut dire : « Si je dis : « Mon grand-père est mon grand-père », vous devez tout de même bien saisir là qu’il n’y a aucune tautologie… »[3]. En effet, il s’agit bien plutôt d’accuser l’inertie, au vu de ce qu’en dit Lacan, pendable, de son ancêtre.

Mais alors, comment expliquer que malgré le fait qu’il parle, la plupart du temps, le sujet s’embourbe dans les mêmes ornières ? Comment expliquer que la compulsion de répétition enferme le sujet dans des schémas comportementaux itératifs si la répétition amène du nouveau ?

C’est une question à laquelle entend répondre Lacan dans le onzième livre de son séminaire, en la coiffant du diptyque « Tuché et Automaton ». Du côté de l’Automaton, c’est bien « du retour, de la revenue, de l’insistance des signes à quoi nous nous voyons commandé par le principe du plaisir. »[4] dont il s’agit. Autrement dit, la tendance homéostatique à l’apaisement de la pulsion conduit à répéter les mêmes stratégies par lesquelles le sujet sait pouvoir y parvenir. C’est une autre façon de désigner ce dont nous parlions plus haut lorsque nous faisions référence au discours du moi protégeant une certaine jouissance du sujet. L’accumulation de ces énoncés référant au passé, à son histoire telle que le fantasme permet de se la narrer, substantifie l’inconscient. En effet, en se remémorant ce qui a été, dans les coordonnées inféodées à la demande de l’Autre, afin d’en recevoir les mêmes signes que ceux qui lui permirent de se reconnaître comme moi, ce discours semble ne devoir qu’entériner un récit où rien du sujet, en tant qu’il est toujours à venir dans une réalisation parlée, ne semble devoir se réaliser. Ainsi expliqué, l’Automaton fait de la parole un discours dévitalisé, dont il revient à l’analyste de faire émerger le sujet, puisque « de le reconnaître ou de l’abolir comme sujet. Telle est la responsabilité de l’analyste chaque fois qu’il intervient par la parole. »[5]. N’est-ce pas alors là ce que nous recherchions sous l’appellation de « résistance du ça » ?

Comment alors interrompre ce cercle de la nécessité ? C’est qu’à l’automaton parfois succède la tuché, comme le surgissement d’un événement, parce que, nous dit Lacan, elle est « la rencontre du réel. »[6]. Il faut comprendre qu’il ne se rencontre pas comme présence, bien plutôt comme le trou autour duquel l’analysant trace ses circonvolutions courageuses. Pour le dire mieux et avec Lacan : « Le réel est ici ce qui revient toujours à la même place – à cette place où le sujet en tant qu’il cogite, où la res cogitans, ne le rencontre pas. »[7]. Ainsi, la tuché serait le moment où la parole révèle une faille, une béance qui dissone et de ce fait, résonne aux oreilles du sujet de telle sorte que l’analyste doive capitonner ce moment d’une ponctuation ou d’une autre forme d’intervention.

Ce n’est qu’alors que « l’inconscient-répétition » le cède à « l’inconscient-interprétation »[8], comme parole par laquelle le sujet se réalise et à laquelle il ne préexiste pas. Cette expérience de l’analysant lui révèle une certitude de laquelle il ne sortira pas indemne, mais qui constituera comme un jalon du circuit dans lequel son travail s’inscrira désormais, modifiant ainsi la causalité psychique déterminant la répétition.

 


[1] FREUD, S., (1925), Inhibition, symptôme et angoisse, PUF, Paris, (2020), p.274.

[2] Ibid.

[3] LACAN, J., le séminaire, Livre IX, « L’identification », leçon du 29 novembre 1961, non publié. 

[4] LACAN, J., Le séminaire, Livre XI (1964), « Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse », Seuil, Paris, (1973), p.54

[5] LACAN, J., Ecrits, (1966), Seuil, Paris, p.302

[6] LACAN, J., Le séminaire, Livre XI (1964), « Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse », Seuil, Paris, (1973), p.53

[7] LACAN, J., Le séminaire, Livre XI (1964), op.cit., p.49

[8] MILLER, J-A, « L’orientation lacanienne. Les us du laps. » extrait de la leçon du 8 mars 2000, « Le temps de l’événement ». Texte oral non relu par l’auteur.

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