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La résistance à la découverte de l'inconscient

Photo du rédacteur: fvaudelapiafvaudelapia

I)              Les deux obstacles à la découverte de l’inconscient :

a.    L’inconscient comme négation du conscient :

Descartes, à l’origine de la conception moderne de la subjectivité comme conscience, définit ainsi la pensée : « tout ce qui est tellement en nous que nous en sommes immédiatement conscients ». Sur cette base, envisager une pensée inconsciente relèverait de l’oxymore.

Néanmoins, Descartes envisage tout de même que certaines pensées inaperçues clairement et distinctement aient des effets. C’est l’exemple célèbre de la fille louchant que Descartes relate dans sa lettre à Chanut (ami de Descartes) du 6 juin 1647 : "Lorsque j'étais enfant, j'aimais une fille de mon âge, qui était un peu louche ; au moyen de quoi, l'impression qui se faisait par la vue en mon cerveau, quand je regardais ses yeux égarés, se joignait tellement à celle qui s'y faisait aussi pour émouvoir la passion de l'amour, que longtemps après, en voyant des personnes louches, je me sentais plus enclin à les aimer qu'à en aimer d'autres, pour cela seul qu'elles avaient ce défaut… ». Cette anecdote implique que ce qu’il s’est produit dans la pensée, bien qu’inaperçu, peut avoir des effets selon une chaîne causale ininterrompue. Ainsi, selon cette conception, si la pensée peut être dite inconsciente, ce n’est que dans le sens adjectival d’une différence de degré d’avec la conscience. Est inconscient ce qui n’a pas été aperçu mais peut, en droit, être ramené à la conscience.  

Avec la découverte du calcul infinitésimal, Leibniz, à la suite de son aîné français, peut introduire dans cette différence quantitative de niveaux de conscience, une infinité de degrés. Il illustre cette conception par l’exemple bien connu du bruit des vagues, dont nous n’entendons à proprement parler aucune goutte, alors même que nous nous faisons une représentation consciente du bruit global que produit le ressac.  Il nomme « petites perceptions » ces perceptions inaperçues de la conscience. Et voilà comment il explique ce phénomène : lorsque nous entendons le bruit de la mer, nous entendons en réalité un « assemblage » (Nouveaux essais sur l’entendement humain).  Cet « assemblage » est l’ensemble des innombrables petits bruits que font toutes les vagues déferlant sur le sable, chacun de ces petits bruits résultant du bruit de toutes les gouttes d’eau s’entrechoquant dans chaque vague. Voilà pourquoi ce qui semblait simple se révèle complexe. Écoutant la mer, nous n’entendons pas le bruit de chaque vague, encore moins le bruit de chaque goutte d’eau. S’il y avait une vague de plus ou de moins, nous n’en aurions pas conscience. Pourtant, le bruit de la mer n’est fait que de ces bruits dont nous ne nous rendons pas compte que nous les entendons : puisque si chacun de ces bruits se réduisait effectivement à rien, nous n’entendrions rien. Ces données sensorielles constituent la base de notre représentation du monde mais, prises séparément, elles sont « insensibles », car trop faibles et confuses pour franchir le seuil de la conscience. Il y a donc bien chez Leibniz une perception inconsciente.

Ainsi, l’élaboration de la subjectivité moderne s’est accompagnée d’une représentation de l’inconscient comme atténuation du degré de conscience, autrement dit comme une notion négative, comme une privation de conscience, en raison du fait que la conscience soit d’emblée considérée comme état premier de la pensée.

Il en résulte la notion fameuse, mais erronée, d’un moi des profondeurs.

 

b.    La pensée comme flux animique indépendant du langage :

Le second obstacle à la conception de l’inconscient tel que la psychanalyse le propose, est la séparation du langage et de la pensée.

Pour le dire très rapidement, une longue tradition philosophique fit du langage un simple outil de la pensée. Il y aurait ainsi une séparation à concevoir entre des représentations pré-langagières, et leur expression par la parole, ce qui impliquerait que la pensée serait en droit indépendante du langage. On voit en quoi cette conception est liée à la précédente. Si la conscience représente toute la pensée, et que pourtant certaines pensées ne nous apparaissent pas clairement, c’est que l’outil dont nous disposons pour nous les représenter, le langage, n’est pas assez puissant.

On trouve une expression de cette tradition notamment chez Bergson et sa fameuse thèse selon laquelle les mots seraient comme des étiquettes qui ne colleraient que de façon très approximative à ce qu’elles sont censées représenter. Ainsi, dire « la feuille de l’arbre » reviendrait à négliger la singularité de la perception actuelle, avec tout ce qu’elle comporte de nuances par rapport au concept général de la feuille : à quel arbre appartient-elle, a-t-elle une tâche étrange, s’émeut-elle de la brise au moment où je l’aperçois ?

Le langage serait donc impropre à exprimer avec justesse les représentations du monde forgées par une pensée qui devrait pourtant lui être adéquate en droit.

Mais cette représentation fut remise en question par le développement de la philosophie du langage au XXème siècle, avec au premier chef Ferdinand de Saussure. Le langage est dès lors considéré à l’inverse, comme condition de la représentation. Autrement dit, nous ne saurions avoir d’idées, qu’elles soient exprimées ou non, sans qu’elle en passe nécessairement par les règles du langage, ce qui rejette au rang d’illusion toute théorie postulant une pensée comme pur flux animique qui ne prendrait forme que de façon contingente, et bien souvent selon un mouvement de dévaluation ontologique.

 

II)           La découverte freudienne :

Comment Freud en est-il alors venu, malgré ces obstacles légués par une forte tradition philosophique, à poser la nécessité d’une pensée inconsciente ? Une fois de plus en psychanalyse, c’est par la clinique que la découverte a pu avoir lieu.

C’est en observant qu’un symptôme ne provenait pas d’un simple oubli, d’une méconnaissance, ou encore d’une confusion dans les représentations que Freud peut dire qu’il y a de la pensée là où je ne suis pas. En effet, s’il suffisait d’une anamnèse intégrale pour résoudre le problème que constitue le symptôme, alors la méthode cathartique par hypnose aurait été couronnée de succès.

De même, c’est en constatant l’efficacité symbolique, qu’il peut avancer l’hypothèse que la parole soit au fondement de la constitution du symptôme. En effet, si le langage n’était que le véhicule d’une pensée déjà constituée, on ne comprendrait pas que la parole puisse bouleverser l’organisation de la psyché. Tout au plus pourrait-elle révéler les mécanismes à l’œuvre, mais non les modifier.

L’inconscient psychanalytique est donc très différent d’une simple négation du conscient, susceptible d’être mis au jour par une parole rigoureuse et méthodique. Mais alors, comment le décrire ?

Nous laissons cela à l’article prochain.

 

 

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